Entre les religions et les sciences, l’antagonisme ne date pas d’hier… Copernic ? Condamné comme hérétique pour avoir remis en cause la centralité de la Terre et de l’humanité au sein de l’Univers. Galilée ? Condamné à la réclusion à vie pour avoir affirmé que la Terre tournait autour du soleil. L’Encyclopédie dirigée par Diderot et d’Alembert ?

Interdite car jugée subversive par les Jésuites qui la qualifiaient « d’athée » et de « matérialiste ».

Les exemples abondent, mais tous les savants sont loin d’être athées. A commencer par Newton lui-même, qui fut profondément religieux toute sa vie durant, et qui affirmait que si la gravité expliquait le mouvement des planètes, il se voyait obligé d’attribuer à Dieu de les avoir mises dans un mouvement circulatoire autour du soleil. Alors, Dieu est-il mathématicien ? Existe-t-il un dessein intelligent de l’univers ?

Foi ou raison ?

« Ce qui distingue les sciences d’autres pensées, c’est la capacité à se mettre d’accord sur des hypothèses non falsifiées. Le propre d’une théorie scientifique, c’est qu’on peut la soumettre à des tests expérimentaux. On n’est jamais certain en toute rigueur de la vérité d’une théorie scientifique mais on peut démontrer sa fausseté et donc la science avance, non pas de certitude en certitude mais par conjectures, par hypothèses et réfutations, comme l’expliquait Karl Popper », avance le philosophe André Comte-Sponville. Plutôt que d’opposer science et croyance, Benoist de Sinety, Vicaire général du diocèse de Paris, préfère pour sa part réconcilier la foi et la raison dans un même élan qui grandit l’Homme : « On peut approcher Dieu par la raison et il nous ouvre une compréhension nouvelle de ce que serait une raison divine qui n’est pas la raison humaine. C’est bien par les deux ailes de la foi et de la raison que l’Homme s’élève vers la contemplation de la vérité. S’il en manque une, il tombe soit dans l’intégrisme, soit dans le scientisme, qui n’est qu’une autre forme d’intégrisme ».

En quête de réponses…

Entre adeptes de l’acte de foi et partisans de l’empiriquement attestable, la défiance est réciproque mais des points de convergence existent, aussi ténus puissent-ils paraître. Alexandre Jollien observe que pour embrasser une vérité, ou du moins s’en approcher, le scientifique se rapproche d’une ascèse, d’une déprise de soi, qui le rapprocherait presque du mystique. Benoist de Sinety décèle également dans la démarche scientifique une quête commune à celle qui l’anime : « Le Chrétien n’est pas celui qui a trouvé Dieu, c’est celui qui cherche Dieu, ce n’est pas celui qui définit Dieu, c’est celui qui est à la recherche d’une explication. C’est un cheminement intérieur, personnel et communautaire. Il s’agit d’être dans une attitude de recherche et d’écoute. Au détour de ce chemin d’exploration et de compréhension, il y a un lieu où se joue une rencontre qui nous humanise et nous déborde complètement. »

Résoudre le mystère de l’être

Si l’athéisme scientifique, qui exclut par définition toute intervention divine dans la création de l’univers, ne tend pas à faiblir avec les avancées des sciences, rien n’interdit encore d’avoir, comme Teilhard de Chardin, une lecture mystique de l’évolution. « L’être est à la fois une évidence et un mystère, explique André Comte-Sponville. Et ce mystère, nous ne le connaîtrons jamais, sauf si Dieu  – auquel je ne crois pas – existe et consent un jour à nous le révéler. Nous sommes au cœur de l’univers, et donc au cœur du mystère. Dieu ne résout pas le mystère de l’être car il est le plus mystérieux de tous les êtres, le mystère est donc partie intégrante de la condition humaine ».

Le mystère reste insondable et la « signature de Dieu » possiblement partout tant que l’incompatibilité entre la théorie darwinienne de l’évolution et l’existence d’une puissance divine n’aura été scientifiquement prouvée. Car après tout, l’athéisme n’a lui-même pas été fondé, ni étayé, sur une base scientifique et il n’existe à ce jour aucune alternative rationnelle à l’existence de Dieu.

Besoin de vérité, des enjeux renouvelés

Le débat prend de nouvelles formes à mesure que les progrès scientifiques se pressent.

Les frictions entre communautés scientifiques et croyantes se jouent aujourd’hui autour d’enjeux renouvelés sur le champ des nouvelles technologies ou de la génétique et d’un lien humain que certains disent sensiblement défait du fait de ses usages. Le philosophe Alexandre Jollien avoue ses craintes, observant que la technique est en train d’imprégner notre art de vivre et de déterminer un mode de vie et de relation à l’autre qui nous éloigne de l’essentiel : « Quel regard porte-t-on sur l’homme aujourd’hui ? Où est la place du faible ? La question est de savoir si les gens sont inscrits dans une dynamique de lien à l’autre ».

Benoist de Sinety s’inquiète lui aussi qu’avec l’apparition des technologies hyper connectées, l’Homme ne se replie sur soi et perde de vue son sens de l’altérité : « Le risque est que nous nous déshumanisions profondément. C’est la rencontre avec l’autre qui fait que je peux entrer en relation avec lui et faire grandir le monde ». Le nihilisme guette, la résurgence du fanatisme est partout.

André Comte-Sponville voit des raisons de positiver : « Pour combattre l’obscurantisme, les « fake news », etc., les sciences sont extrêmement utiles car ce sont elles qui apportent la vérité – la vérité historique, la vérité sociologique. Contre le nihilisme et le fanatisme qui menacent aujourd’hui, les sciences font partie de nos armes les plus précieuses. »

Vers une science plus consciente

Génétique, bioéthique, intelligence artificielle, allongement de la vie, et même transhumanisme… La science repousse toujours plus loin ses limites. Une révolution et une accélération des progrès scientifiques qui conduisent à s’interroger autour des nouveaux enjeux éthiques qui y sont associés de même que sur la responsabilité des pouvoirs publics quant aux frontières à instaurer.

Et André Comte-Sponville d’ajouter : « La science ne tient pas lieu de métaphysique, ne tient pas lieu de spiritualité, ne tient pas lieu de morale, ne tient pas lieu de politique. La morale est à la charge de chacun, ne comptons pas sur l’Etat pour nous dire ce qui est bien ou mal ».

Benoist de Sinety considère au contraire que le premier devoir de l’Etat est la protection du plus fragile, et que les lois qui ne vont pas dans ce sens-là posent un problème de conscience : « En tant que chrétien, ma conviction profonde est que rien dans notre société ne peut porter atteinte au plus petit, au plus faible, pas même au nom de la science. La vie de l’homme est le bien le plus précieux – tout ce qui peut l’enrichir et la faire fructifier est une merveille, tout ce qui peut la blesser est source de préoccupation ».

Dans un contexte de profonde mutation technologique, le débat a donc lui-même mué, opérant un glissement sur le terrain de la conscience et donnant au célèbre mot de Rabelais les accents d’une mise en garde pour les générations qui viennent : la science qui n’est pas connectée au Souffle sacré ne peut produire que folie et ruine de l’âme.

A Alexandre Jollien le mot de la fin, en forme de viatique : « Aujourd’hui, un des pans de la vie spirituelle consiste à lutter contre toute réification, et promouvoir la dignité de chacun ».

* C’est avec le débat sur science et croyances animé par Cécilia GABIZON, Chroniqueuse sur France Info, directrice chez Street School, que se sont poursuivies les Rencontres Capitales 2018 consacrées à « mémoire et mutations » organisées par l’Académie des sciences à l’Institut de France.

Source : www.opinion-internationale.com/ Le 14-09-2018/ Par : Jean-François Ducrocq

 

 

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