Pour le dixième anniversaire de l’adoption à l’Unesco de la convention sur la diversité culturelle, le ministère de la Culture et de la Communication a organisé le 25 novembre une rencontre : « De Palmyre à la révolution numérique : les défis de la diversité culturelle ». Compte-rendu.
La diversité culturelle à l'heure des défis
« Pour nous, la diversité culturelle n’est pas une option, c’est un programme ». Si elle était partagée par les différents participants réunis lors de cette matinée d’étude consacrée aux dix ans de la convention sur la diversité culturelle, cette déclaration du ministre de la culture polynésien, Heremoana Maamaatuaiahuputu, avait des airs de plaidoyer. Pour lui, il est clair que la convention de 2005 est une chance pour « faire résonner au plan international les valeurs de la culture polynésienne ». Pourtant, la convention adoptée à l’Unesco le 20 octobre 2005 qui compte aujourd'hui 140 États-membres – ce qui en fait « l’une des conventions ratifiées par le plus de parties au monde », observe Stéphane Martin, le président du musée du Quai Branly, qui accueillait la rencontre – doit faire face aujourd’hui à de nouveaux défis : mieux protéger le patrimoine universel et s’adapter à la globalisation numérique.
« Une coalition d'expertise pour protéger le patrimoine universel »
Alors que les attentats de Paris étaient dans toutes les mémoires, Jean-Luc Martinez, président-directeur du musée du Louvre, auteur d’un rapport comprenant « 50 propositions françaises pour protéger le patrimoine de l’humanité », l’a assuré : « Il faut une coalition d’expertise pour combattre le trafic illégal d’antiquités, comme il faut une coalition militaire pour anéantir Daech ». Et de détailler, à la suite de la déclaration solennelle faite par le Président de la République à l’Unesco le 17 novembre, soit quelques jours seulement après les attentats, les mesures qu’il préconise de prendre aux niveaux national, européen et international. « Sur ce dernier point, a-t-il ajouté, je note avec intérêt que l’intervention de François Hollande, en particulier sur les ports francs, a porté ses fruits : un pays européen a d’ores et déjà annoncé qu’il prendrait dorénavant des mesures pour le contrôle des antiquités ». Mais, selon lui, « la meilleure manière de protéger les biens culturels, c’est l’étude ». Avec des moyens humains (« formation d’une nouvelle génération ») et des moyens financiers (« un fonds mondial pour la protection du patrimoine »), on pourra alors « construire une politique internationale », seul moyen de protéger efficacement le patrimoine contre des groupes comme Daesh.
Protéger le patrimoine : les initiatives existent
Pour l’heure, une « coopération » existe déjà dans certains secteurs, souligne Anne-Catherine Robert-Hauglustaine, la présidente de l’organisation internationale des musées (ICOM) : « Nous venons de publier, sous l’égide de l’Unesco, des recommandations pour la protection des musées, et nous éditons régulièrement des listes rouges d’objets pillés, à destination des musées du monde entier, mais aussi d’Interpol et de la douane, dont la dernière-née, qui porte sur la Libye, va être lancée le 15 décembre ». Le pillage à des fins de trafic n’est pas la seule exaction commise contre le patrimoine ; celui-ci peut être également saccagé ou détruit. « Si on ne peut répare pas les biens culturels détruits ou pillés, on peut en revanche garder leur mémoire », a expliqué Yves Ubelman, président d’ICONEM. Pour cela, il a imaginé des solutions technologiques. En Afghanistan, les drones ont permis de reconstituer en 3D un site archéologique occupé par les Talibans et donc de le « rendre de nouveau accessible ». En Syrie, ICONEM a mis en place un protocole pour documenter, à partir de milliers de photos, l’état d’une citadelle médiévale, le Krak des Chevaliers. « On peut ainsi se rendre compte précisément les dégradations subies par le bâtiment ». En Irak, les drones ont permis de cartographier plusieurs sites prestigieux à Mossoul, comme Ninive ou Khorsabard. « Les informations recueillies permettent de renseigner à la fois les techniques et l’économie de pillage de Daesh ».
« Si on ne peut répare pas les biens culturels détruits ou pillés, on peut en revanche garder leur mémoire » (Yves Ubelman, président d’ICONEM)
« Je me suis réconcilié avec cette idée de diversité, qui a un sens magnifique d’universalité »
Du côté de la création, la diversité culturelle constitue-t-elle aussi « une richesse à préserver » ? D’abord réticent face au concept (« je craignais que le mot ne soit pris dans un sens trop étriqué »), l’écrivain Dany Laferrière s’est « réconcilié avec cette idée, qui a un sens magnifique d’universalité ». Il observe aujourd’hui un véritable « appétit de savoir » de la part des Haïtiens, que le numérique pourrait permettre de satisfaire. Pour le cinéaste Abderrahmane Sissako, la convention sur la diversité culturelle a sans aucun doute amélioré « la circulation des œuvres ». « Mais ce qui manque aujourd’hui, poursuit l’auteur de Tumbuktu, c’est la circulation des artistes. Un photographe congolais, un danseur sénégalais, n’ont quasiment aucune chance d’être présentés aujourd’hui ». L’écrivain et le cinéaste se retrouvent sur un point : « l’importance du silence ». Car « diversité » ne veut dire « surproduction artistique » ni « création pléthorique ». Et, selon Abderrahmane Sissako, ce que n’est qu’à travers le silence qu’on arrive à être « véritablement proche d’un auteur ».
« La diversité culturelle, c’est d’abord un combat, et un combat politique »
Une seconde évolution – une révolution, plutôt – n’en finit pas de bouleverser le monde culturel : l’emprise du numérique. Pour bien mesurer l’étendue – et la rapidité – de ces bouleversements, Pascal Nègre, président d’Universal France Music, a donné quelques chiffres : « En octobre, 3 millions de Français, c’est-à-dire 5 % de la population, étaient abonnés à un service numérique de produits culturels. À partir de ce seuil, on entre dans un marché de masse ». Si les modèles économiques de la musique en ligne évoluent très vite, les problématiques du numérique restent inchangées : le numérique a permis une grande diversité de contenus accessibles (« aujourd’hui, souligne Pascal Nègre, chacun a accès à 15 millions de titres contre 150 000 avant la numérique»), mais celle-ci pose la question des usages (la diversité, pour qui ?). « Plus vous avez le choix, moins vous choisissez », observe Pascal Nègre. Pour Pascal Rogard, directeur général de la SACD et président de la Coalition française pour la diversité culturelle, « la diversité culturelle, c’est d’abord un combat, et un combat politique ». Combat pour le maintien de l’exception culturelle dans les négociations commerciales. Combat – également – pour le droit d’auteurs. « Le 9 décembre, la Commission européenne va faire une communication sur le droit d’auteurs, poursuit-il, particulièrement offensif. Est-ce qu’il s’agit de le renforcer ? Est-ce qu’il s’agit de renforcer la protection des créateurs ? Non, il s’agit d’abaisser le niveau de protection des auteurs et de considérer que le droit d’auteur est un obstacle à la circulation des services numériques ». Face à ces interrogations, Irina Bokova, directrice de l’Unesco, le promet : « Côté Unesco, les efforts pour mettre le numérique au service de la diversité culturelle nécessitent un travail de longue haleine. Comme pour les mausolées de Tombouctou dont nous avions promis la reconstruction, nous ferons ce travail ».
« Renoncer à réguler, c’est renoncer à la diversité culturelle »
En Europe, deux accords commerciaux sur cinq font aujourd’hui référence à la diversité culturelle, les services audiovisuels sont exclus du mandat de l’Union européenne et la coopération culturelle est particulièrement favorisée… En relevant ces résultats, Fleur Pellerin a souligné que ce combat pour le dialogue des cultures a pris, avec l’adoption de la convention à l’Unesco, « une dimension nouvelle ». « La France continuera d’être aux avant-postes pour la promouvoir », a-t-elle assuré. Aujourd’hui, la convention doit faire face à deux nouveaux défis. Premier défi : la révolution numérique. Peut-on encore réguler à l’heure de cette mutation mondiale ? « Renoncer à réguler, c’est renoncer à la diversité culturelle », a affirmé Fleur Pellerin.« Avec nos partenaires au sein de l’Union européenne, nous sommes aujourd’hui engagés dans une négociation d’envergure pour préserver la rémunération des créateurs dans le cadre de la réforme des droits d’auteur. ». Par ailleurs, la ministre s’est félicitée de constater qu’une « réflexion sur l’application de la convention dans l’univers numérique est en cours à l’Unesco ». Second défi : la protection du patrimoine. Après les annonces du Président de la République à l’Unesco, Fleur Pellerin a précisé plusieurs points : un « contrôle douanier » sera instauré pour intensifier la lutte contre le trafic de biens culturels ; les œuvres menacées qui seront accueillies en France seront étudiées par « de nombreux étudiants et chercheurs venus de ces pays, qui pourront travailler en toute sécurité » ;les sites menacés ou détruits seront numérisés afin de « protéger leur mémoire ».
Source : culturecommunication.gouv.fr/ Publié le 27.11.2015