Reconstituer le passé

"Connaître le passé pour comprendre le présent et tenter de mieux gérer l’avenir".

Voilà la mission complexe des chercheurs en archéozoologie et archéobotanique. Ces disciplines regroupent à la fois des archéologues, des historiens, des biologistes mais également des ethnologues et des chimistes. Il s’agit en effet de reconstituer non seulement la biodiversité retrouvée à divers endroits du monde et à différentes époques, mais aussi de comprendre comment celle-ci était gérée par l’homme et quelles étaient leurs relations avec la nature : quels animaux et végétaux mangeaient-ils ? Quel fourrage était utilisé pour nourrir les bêtes ? Quelles pratiques agricoles et culturelles étaient utilisées ? Autant de questions dont les réponses sont cachées dans chacune des pièces découvertes lors des fouilles archéologiques et qui nécessitent une multitude d’angles d’études et d’expertises pour être révélées.

La domestication, une connexion forte entre l’homme et l’animal

La bioarchéologie s’intéresse tout particulièrement à la domestication des espèces à toutes les périodes depuis le néolithique, un sujet qui relie à la fois transformation des relations homme-animaux et transformation des sociétés. Les sites de fouilles abondent de squelettes d’animaux souvent partiels qui contiennent bon nombre d’informations. Les assemblages d’os retrouvés sont souvent des déchets de consommation. Après avoir été photographiés, classés et identifiés à l’aide d’une collection de référence (osthéothèque), les chercheurs peuvent déjà avoir une idée de comment l’animal a été tué ou préparé en observant d’éventuelles traces de brûlures ou de découpage sur la surface des os, mais également à quelle espèce il appartenait, son âge et son sexe. Ainsi, on peut savoir quelles bêtes accompagnaient les hommes, celles qui n’apparaissaient jamais à leurs côtés et celles qui étaient particulièrement consommées. Au-delà de l’aspect purement alimentaire, des éléments culturels peuvent alors apparaître concernant les espèces que les populations semblaient épargner, celles qui pouvaient être « tabou » ou encore celles qui étaient utilisées lors de rituels. L’âge et la morphologie apportent encore d’autres informations et permettent de dresser une courbe d’abattage. Selon la période de vie à laquelle les animaux étaient abattus, les chercheurs peuvent alors déduire si ceux-ci étaient élevés pour leur viande, leur lait ou encore leur laine… en somme, comment étaient gérés les troupeaux.

Mais les os ne sont pas les seules sources de données. De la peau, de la laine ou encore de l’ivoire peuvent renseigner sur les conditions d’élevage. Les dents ont aussi une particularité : elles poussent de manière cyclique, selon les saisons notamment. La poudre dentaire récoltée à différents niveaux de la dent (par stries horizontales) contient des isotopes stables qui renseignent sur le climat, l’alimentation des animaux, le type de sol sur lequel ils séjournaient, la saisonnalité des transhumances, s’il y en avait, ou encore de la reproduction. Grâce à cette méthode, la chercheuse Marie Balasse a pu mettre en évidence, dans une étude publiée dans Environmental Archeology en 2012, un désaisonnement des naissances chez les moutons par rapport à leurs ancêtres du 4e millénaire avant J-C, probablement dû à la modification des méthodes d’élevage et de l’impact de l'homme sur les cycles naturels des animaux.

Isotopes stables. Contrairement aux isotopes radioactifs, les isotopes stables ne varient pas au fil du temps. Ils sont présents dans l’environnement et sont retrouvés dans les plantes, les os, les dents etc. via la respiration, l’eau et l’alimentation. Parmi eux on retrouve le carbone (C), l’azote (N), l’oxygène (O) ou encore l’hydrogène (H).

La forme de chaque partie de corps retrouvée est analysée grâce à la technique de morphométrie. Point par point, les ossements sont reconstitués en 3D ce qui permet aux chercheurs d’identifier leur nature, de faire des calculs complexes dessus et de les associer à d’autres pièces de la base de données. Tous ces restes peuvent également être datés au carbone 14 et, lorsqu’ils présentent une particularité, leur ADN peut alors être analysé pour dresser la phylogénie de l’espèce étudiée. Cependant, l’extraction d’ADN ancien est une méthode très coûteuse qui requiert une certaine expertise que seuls certains laboratoires spécialisés possèdent, ce qui explique pourquoi elle n’est pas systématiquement utilisée . De plus, cette molécule se conserve très mal avec le temps.

info plus 20Technique de morphométrie appliquée sur une dent - Crédit : M. Balasse et al. 

L’archéozoologie et l’archéobotanique sont étroitement liées

Qui dit élevage et domestication, dit nourrissage des animaux. Et les végétaux offrent d’autres éléments sur les pratiques, les gestes et les techniques d’élevage. Ce sont des graines carbonisées et des charbons de bois qui sont retrouvées en majorité dans les sols et les restes de feux après que ces derniers aient été tamisés plusieurs fois, lavés et séchés. Pour identifier les plantes auxquelles ces restes appartenaient, les échantillons sont dans un premier temps triés puis observés à la loupe binoculaire (grossissement : 4-200x), au microscope optique (grossissement : 50-1000x) ou au microscope électronique à balayage pour les plus petits éléments (grossissement jusqu’à 20.000x). Les graines et les charbons sont identifiés grâce à des collections de référence, tout comme pour les ossements, mais également via des atlas illustrés (vues radiale et transversale) comportant des clés d’identification précises.

Et les chercheurs ne se contentent pas de fouiller dans le passé ! Ils se servent du présent pour comprendre et comparer avec ce qu’ils trouvent lors des fouilles. Par exemple, ils ont comparé les cernes d’arbres fossilisés avec celles d’espèces similaires que l’on retrouve aujourd’hui en effectuant un carottage au niveau du tronc afin de déterminer si les populations des périodes étudiées utilisaient l’émondage. Quand un arbre a en effet été élagué, les cernes sont davantage rapprochés entre eux. Cela montre alors quels végétaux étaient utilisés soit pour la combustion, soit pour le fourrage des animaux. Concernant l’agriculture, dans d’autres cas, il faut trouver des endroits où des populations continuent de pratiquer des techniques ancestrales (connues grâce à des ethnologues), pour que les matériaux (graines, pollen, charbon etc.) retrouvés puissent ensuite être comparés aux échantillons fossiles. Tout cela permet alors de constituer une base de référence qui servira ensuite à d’autres recherches. 

Source : sciencesetavenir.fr/01/2017

Fil de navigation