Le 13 novembre 2017, la communauté scientifique internationale signait une mise en garde sans précédent contre la dégradation catastrophique de l’environnement. Ce manifeste signé par plus de 15 000 scientifiques de 184 pays alertait l’humanité sur le danger de pousser « les écosystèmes au-delà de leurs capacités à entretenir le tissu de la vie » et sur la nécessité « d’adopter une alternative plus durable écologiquement pour éviter une misère généralisée et une perte catastrophique de biodiversité ».
Autre préoccupation majeure, la folle croissance démographique que connaît la planète fait dire à certains que nous serions à l’aube d’une sixième extinction de masse, d’autres prétendent même que celle-ci serait déjà en cours… Qu’en est-il réellement ? Comment changer notre rapport au monde et proposer un avenir durable pour la planète ?
Un bilan alarmant de l’état de la Terre
En prenant conscience sur le tard des effets de sa présence sur Terre, le pire reste sans doute à venir pour l’Homme et son environnement. Des changements radicaux s’imposent donc dès à présent. « Par son activité, l’espèce humaine est en train d’impacter gravement ce qui la fait vivre » analyse Isabelle Autissier en réponse aux interrogations de Dominique Pialot, Rédactrice en chef adjointe à La Tribune, Transition écologique, ville durable, énergie, climat. Et l’écrivaine et navigatrice de citer les mers et les océans qu’elle connaît bien et qui souffrent à la fois de leur surexploitation par la pêche et de la modification de la chaîne des espèces causée par la pollution. « En quarante ans, nous avons éradiqué de la planète plus de la moitié des vertébrés qui s’y trouvaient », complète-t-elle en citant une étude du WWF dont elle préside la branche française.
L’eau cruciale à la survie de l’homme
Par ses effets, le réchauffement climatique raréfie l’eau dans certaines zones, multiplie les catastrophes météorologiques et, surtout, impacte gravement nos ressources alimentaires à l’heure où la population ne cesse de croître. « L’essentiel de l’eau que nous utilisons sert à produire les aliments que nous consommons » résume Ghislain de Marsily, professeur émérite de Sciences de la Terre et membre de l’Académie des Sciences.
Si l’économie de l’eau s’affiche comme une priorité, d’autres travaux plus coûteux apparaissent inévitables. Il s’agit d’une part du transport de l’eau par canaux dans des régions sèches comme aux Etats-Unis et, désormais, en Chine.
D’autre part, il faudra accroître la livraison de nourriture depuis les zones de production vers celles en déficit d’eau. Problème, les continents qu’il faudra approvisionner en priorité comme l’Afrique et l’Asie sont aussi ceux qui connaissent la plus forte explosion démographique et donc, la plus forte demande à venir.
Les risques d’une surpopulation galopante
« Le principal danger de la planète, c’est que nous sommes trop nombreux. La population mondiale va bientôt atteindre 7,3 milliards d’habitants. On prévoit qu’elle s’élève à 9,5 milliards en 2050 et 12 milliards en 2100 » prévient Ghislain de Marsily.
Mais ce n’est pas tant leur nombre que le mode de vie des terriens qui importe. En effet, le niveau de pollution par habitant varie considérablement d’un continent à un autre, le rapport d’émission de CO2 passant de 1 à 15 d’un Africain à un Américain. « Les pays avancés sont d’effroyables pollueurs et ils devront modifier leur comportement. D’un autre côté, il faudra éviter que les pays en développement n’acquièrent des habitudes qui causeront des dégâts à la planète » analyse Henri Léridon, démographe et directeur de recherche émérite à l’INED.
Parmi les urgences, il faudra gérer au mieux les sols afin de conserver un maximum de terres cultivables, améliorer leur rendement à travers un meilleur respect de l’environnement et enfin, réduire les gaspillages tant au niveau de la production, du transport, du stockage, de la distribution que de la consommation.
Nourrir l’ensemble de la planète
La lutte contre le gaspillage doit dès à présent porter sur la nourriture afin d’économiser une partie de la production et les ressources nécessaires à son développement. Côté viandes, la réduction de la consommation aurait pour effet de préserver les céréales utiles à l’élevage ainsi que les espèces des mers et des océans. Citant une autre étude du WWF, Isabelle Autissier affirme que « manger de la viande une fois tous les dix jours et du poisson tous les sept jours » correspond à l’idéal en matière de santé publique. « Nous n’avons pas besoin de plus de protéines d’origine animale » ajoute-t-elle. Les économies réalisées permettraient aussi de consommer des aliments de meilleure qualité ». Outre les bienfaits sur la santé, cette alimentation raisonnée aurait aussi un impact sur l’environnement. « En arrêtant de manger des produits transformés qui sont en général des usines à pesticides et à additifs en tous genres, en cuisinant soi-même… on améliore beaucoup notre empreinte alimentaire » estime-t-elle.
Des besoins croissants en énergie
D’autre part, la demande toujours plus forte en énergie se heurte à un impératif de réduction de la pollution qu’elle engendre. Elle nécessitera d’une part, une baisse de la consommation, d’autre part une transition énergétique qui permettra d’abandonner progressivement les énergies fossiles au profit d’énergies dites « propres ». Cet enjeu est d’autant plus important que l’accès à l’énergie pour tous reste l’une des solutions à l’inégalité entre les continents. « Il reste un chemin à parcourir et nous, pays développés, devons aider les pays en voie de développement à sauter une génération pour passer d’un état de carence d’énergie à celui de production d’énergie renouvelable en réduisant le plus possible le passage par les énergies carbonées » prévient Franck Bruel, directeur général adjoint d’Engie. Dans ce domaine aussi, l’Homme doit apprendre à ne plus gaspiller. « Nos besoins sont croissants, et les énergies renouvelables sont indispensables et une des clés essentielles, mais elles sont intermittentes. Il faut trouver d’autres formes de technologies, de stockage, et c’est l’efficacité énergétique qui sera la solution » insiste Franck Bruel.
Les mégalopoles, danger ou solution à la surpopulation ?
L’ère de l’industrialisation dans les pays occidentaux a eu pour conséquence de réduire la proportion de la population rurale au profit des villes. Certaines ont connu une telle expansion qu’elles doivent faire face à de nouveaux enjeux en matière de pollution, de transport et d’énergie. « La croissance urbaine n’est pas forcément un désavantage. Les gens peuvent y être plutôt en meilleure santé, plutôt mieux éduqués et mieux nourris qu’à la campagne » tempère Henri Léridon.
« L’urbain dense a des vertus comme l’économie d’espace » ajoute Ghislain de Marsily. Mais quand l’urbanisation s’opère de façon anarchique, « des bidonvilles apparaissent, les équipements font défaut, et les villes ne sont plus capables de suivre afin de distribuer l’eau, l’électricité, développer les transports en commun… Cela peut avoir des conséquences politiques et être source d’agitation » constate Henri Léridon.
« La ville est déjà quelque chose de très complexe, qui va se complexifier pour celles qui n’ont pas les moyens physiques ou financiers de remettre en cause les infrastructures historiques. (…) Cette complexité ne peut se résoudre que par le digital » résume Franck Bruel.
Que faire dès aujourd’hui ?
Face au risque de « collapsologie », théorie selon laquelle le monde connaîtrait un anéantissement général, des mesures doivent être prises d’urgence. « L’idée qu’à un moment, la biodiversité peut s’effondrer, n’est pas qu’une vue de l’esprit ou une lubie de scientifiques », prévient Isabelle Autissier. Derrière la montée des eaux qui provoquerait des déplacements de réfugiés climatiques par millions pointe l’émergence de régimes autoritaires. Les gouvernements seraient donc bien avisés de contraindre dès à présent entreprises et populations à ces changements. « Il faut prendre des décisions difficiles qui ne sont pas populaires. Mais par souci électoraliste, aucune n’est prise. On se dirige, pour des raisons politiques, vers de gros déboires par absence de décision » regrette Ghislain de Marsily. Si contrôle des naissances, contraception et éducation restent indispensables afin d’endiguer la surnatalité, d’autres changements ne surviendront que par la pression citoyenne. Henri Léridon acquiesce : « Il faut que les jeunes générations poussent à la base et elles arriveront à provoquer le changement, y compris chez les dirigeants, quand ces derniers comprendront qu’ils ont besoin de ce soutien pour être élus. »
Source : /www.opinion-internationale.com/ Par : Pascal Bertin/ mardi 18-09-2018
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