Il y a quelques années, le généticien américain George Church avait proposé de ressusciter Néandertal, en recréant son génome – il restait à trouver des mères porteuses volontaires pour l’expérience. Toujours iconoclaste, le chercheur à la barbe prophétique souhaite désormais se lancer dans la synthèse d’un génome humain entier. Ce projet, baptisé le Human Genome Project-Write, présenté dans Science jeudi 2 juin, serait le pendant du projet de séquençage du génome humain (Human genome project, HGP) qui avait abouti au début des années 2000 : il ne s’agirait plus cette fois de lire la séquence des 3,3 milliards de paires de bases – l’immense enchaînement des « lettres » A, T, C et G qui constituent l’alphabet du patrimoine génétique de chacun d’entre nous – mais de la réécrire, de la synthétiser, pour la faire s’exprimer dans des cellules. Il n’est cependant pas question dans l’article d’en dériver un individu.
Pour porter ce projet, ses initiateurs annoncent la création d’une fondation, qui souhaite lever 100 millions de dollars de fonds provenant de tous horizons pour entamer les recherches. « Le coût total du projet est difficile à estimer, mais il serait probablement moindre que les 3 milliards de dollars du HGP », écrivent les chercheurs. Le but initial est de développer des outils permettant de réduire d’un facteur 1 000 le coût de la conception et de l’évaluation de grands génomes (d’une taille comprise entre 100 millions et 100 milliards de paires de bases) d’ici à dix ans. Le projet vise donc la synthèse du génome humain, mais aussi de ceux d’organismes intéressant la santé publique ou l’agriculture – le génome de certaines plantes est en effet bien plus vaste que celui de l’homme.
« Les NIH n’ont pas considéré que le moment était approprié pour financer un tel effort » Francis Collins, directeur des NIH
Cette perspective n’enthousiasme guère Francis Collins, qui avait conduit le consortium public du HGP et dirige aujourd’hui les National Institutes of Health (NIH) américains, rapporte la presse américaine : « Les NIH n’ont pas considéré que le moment était approprié pour financer un tel effort orienté vers la production à grande échelle tel qu’il est présenté dans l’article de Science, a-t-il déclaré. La synthèse de fragments ADN d’une taille limitée pour des expériences de laboratoires ne soulève que peu de questions éthiques. Mais la synthèse de génomes entiers et d’organismes entiers va bien plus loin que nos capacités scientifiques actuelles, et soulève immédiatement de nombreux signaux d’alarme éthiques et philosophiques. »
HGP-Write n’a cependant pas pour ambition de recréer un être humain, mais plutôt de « faire croître des organes humains transplantables, de concevoir une immunité vis-à-vis de virus dans des lignées cellulaires dont le génome aurait été recodé, d’induire une résistance au cancer dans des lignées cellulaires et d’accélérer le développement de vaccins et de médicaments efficaces en utilisant des cellules humaines et des organoïdes ».
Réunions secrètes
Les auteurs de l’article soulignent l’importance de discuter des implications éthiques de ce projet, qui avait été conçu en secret lors de deux réunions, dont la dernière, tenue début mai, avait été rendue publique après des fuites. Ce secret avait suscité un malaise chez certains chercheurs, qui considèrent que des discussions éthiques ouvertes auraient dû précéder l’initiative HGP-Write – George Church s’était défendu en arguant que cette furtivité n’était due qu’au souci de ne pas éventer le contenu de l’article en préparation avant sa publication.
Autre critique : les promoteurs du HGP-Write sont directement intéressés au développement des techniques de synthèse de l’ADN. George Church a créé plusieurs sociétés de biotechnologie et est détenteur de plusieurs brevets dans ce domaine, tout comme nombre de ses cosignataires. On retrouve parmi eux un représentant d’Autodesk, une société de logiciels qui développe des produits bio-informatiques.
Les questions sur l’intérêt scientifique et la faisabilité d’un tel projet sont elles aussi nombreuses. L’équipe du généticien américain Craig Venter – qui avait auparavant conduit en solitaire la course du séquençage du génome humain, face au HGP public –, est à ce jour celle qui a synthétisé le plus grand génome entier, celui d’une bactérie, long d’environ un million de paires de bases. Venter a depuis proposé la recette génétique de la « vie minimale ». Le premier signataire de l’article de Science, Jef Boeke (université de New York), dirige un consortium international qui vise à reconstituer le génome d’une levure, Sc2.0, qui fait lui 12 millions de paires de bases. Un seul des 16 chromosomes de cette levure a à ce jour été réécrit.
Le changement d’échelle pour parvenir à un génome humain (presque 300 fois plus long) est donc considérable, et pas forcément justifié : Jeremy Minshull, patron de DNA2.0, une entreprise spécialisée dans la synthèse d’ADN, interrogé par le New York Times, « ne pense pas qu’être capable de produire tant et plus de séquences toujours moins chères nous conduise au degré de compréhension dont nous avons besoin ». Les buts du HGP-Write pourraient aussi être poursuivis en reconstituant des fractions de génome bien plus courtes, mais dont on aurait plus précisément compris les fonctions.
Le Français Philippe Marlière, qui avait réuni fin mai à Berlin quelques-uns des meilleurs spécialistes de la biologie de synthèse, note que plusieurs d’entre eux avaient décliné l’invitation de George Church à participer à la réunion préparatoire à Harvard, et que parmi ceux qui y avaient répondu, pouvait flotter « un esprit de scepticisme ». Le positionnement même de George Church pose question: « après avoir prétendu que l’édition du génome était la panacée, il promulgue maintenant que sa synthèse est la voie ultime », note Philippe Marlière, qui ne goûte pas la « connotation anthropotechnique » de sa démarche: « l’enjeu de la synthèse génomique devrait n’avoir rien à faire avec le transhumanisme, et tout avec la protection des habitats naturels et l’intensification des moyens de production industrielle », estime-t-il.
Qui servira de modèle pour ce génome synthétique ? Pour le séquençage, on avait appris après coup que Craig Venter avait donné de sa personne – son chien avait ensuite été porté volontaire pour le premier génome du canidé. Le donneur figure-t-il parmi les auteurs de l’article de Science ? Il est muet sur ce point.
Source : LE MONDE | 03.06.2016