Formations à la laïcité

Longtemps évoquées et souvent reportées, les formations à la laïcité s’installent progressivement à l’université sous l’impulsion du ministère de l’Intérieur. À l’automne 2015, sept nouveaux DU ont vu le jour. Loin de se limiter aux aumôniers, ces formations visent désormais un public beaucoup plus large. Le point à l'occasion de la journée de la laïcité, le 9 décembre 2015.

Ils s'appellent Connaissance de la laïcité, à Paris 1, Droit, société et religion, à Bordeaux, ou encore Religions et société démocratique à Lille 2. Au total, une douzaine de diplômes universitaires de "formation civile et civique", selon la terminologie du ministère de l'Intérieur, ont fait leur rentrée en 2015, dont sept pour la première fois.

Dans les tuyaux des universités depuis plusieurs années pour certains, le développement de ces DU, subventionnés à hauteur de 15.000 euros par le ministère de l'Intérieur, a été accéléré après les attentats de Charlie-Hebdo et de l'Hyper Cacher en janvier 2015 et le sera probablement encore après ceux du 13 novembre. L'objectif : amener les gestionnaires de cultes mais aussi des responsables d'associations, des agents de la fonction publique à mieux comprendre le rapport entre l'État laïc et les religions.

Des intitulés choisis avec soin

Si toutes ces formations ambitionnent de rendre plus clair le concept de laïcité, la plupart ont choisi de ne pas faire figurer cette notion à leur intitulé. "Le terme laïcité présente un caractère polysémique qui peut donner lieu à des malentendus", justifie Bénédicte Lavaud Legendre, en charge du DU Droit, société et religion de l'université Bordeaux.

Pour Céline Pauthier, responsable du DU Société et pluralité des religions à Strasbourg, il est surtout trop réducteur. "Quand on aborde les questions de législation du travail, de la famille, de la fiscalité... Nous sommes dans le cadre du droit général, pas dans celui de la laïcité, qui renvoie plutôt à la question du vivre ensemble".

Seules quelques universités comme l'Institut catholique de Paris (le premier à avoir ouvert un DU en 2007), Sciences po Aix ou encore Paris 1, l'ont retenu dans leur intitulé. "On ne peut pas imaginer qu'une formation civique et civile, financée par le ministère de l'Intérieur, ne fasse pas explicitement référence à la laïcité et à ses différentes interprétations", argumente Franck Fregosi, en charge du certificat Pluralité religieuse, droit, laïcité et sociétés à l'IEP d'Aix.

Un enseignement ouvert à un large public...

Loin de se limiter aux aumôniers la formation à la laïcité vise un large public : gestionnaires de cultes, fonctionnaires, étudiants en formation initiale... Seules conditions pour postuler : avoir un niveau bac et maîtriser la langue française. Les frais d'inscription eux, tournent entre 184 euros et 600 euros pour les formations les plus coûteuses. 
Sur la quinzaine d'étudiants inscrits à l'université de Lille 2, cinq sont aumôniers (musulman, protestant et orthodoxe), les autres sont des agents publics, principalement de l'administration pénitentiaire ou des étudiants en formation initiale. On retrouve la même diversité à Paris 1, où les imams, envoyés par la Grande Mosquée de Paris, côtoient des responsables d'associations, des juristes, des agents de l'éducation nationale et de la police.

Une mixité à laquelle les responsables de ce DU tiennent particulièrement. "Ces formations donnent l'occasion à des personnes, dont certaines seront amenées à travailler ensemble, de mieux se connaître", insiste Aymeric Potteau, en charge du DU Religions et société démocratique à Lille 2. Et Brigitte Basdevant, responsable de celui de Paris Sud, d'ajouter : "La diversité des profils et des origines permet des échanges et des dialogues très riches." Au total, près de 250 étudiants suivent une formation à la laïcité cette année. Des formations qui ont pour la plupart fait le plein, excepté pour celles qui n'ont pas eu assez de temps pour se faire connaître.

... à dominante juridique

Dans la plupart des DU, le droit (droit public, de la famille, du travail) concentre environ les deux tiers des 130 heures que compte en moyenne la formation. Un enseignement d'histoire, de sociologie et de sciences politiques, modulé différemment selon les universités, complète le programme. "Parler du religieux dans la société nécessite de convoquer la recherche en sociologie et en anthropologie des religions", insiste Franck Fregosi.

Si ces enseignements sont assurés par les professeurs de l'université, "qui ont tous répondu à l'appel avec beaucoup d'enthousiasme", assure Bernard Lebras en charge du DU Connaissance de la laïcité à la Sorbonne, certaines, à l'instar de Bordeaux et de Toulouse, ont fait également appel à des représentants de chacune des trois religions monothéistes.

"Ce sont les mieux placés pour présenter les principes et concepts religieux susceptibles d'être en conflit avec les normes civiles", justifie l'enseignante bordelaise. Une initiative parfois perçue comme une atteinte à la laïcité. Bénédicte Lavaud Legendre n'est pas de cet avis : "À partir du moment où ces personnes interviennent dans mon cours et donc sous ma responsabilité, il n'est aucunement question de cours de théologie."

La diversité des profils et des origines permet des échanges et des dialogues très riches.
(B. Basdevant)

L'IEP d'Aix, lui, a choisi de donner la parole à des acteurs de terrain. Membres de la fonction publique en charge de la question des libertés publiques et des cultes, responsables associatifs... sont invités à raconter leur quotidien. "L'idée est de diversifier les points d'ancrage et de permettre le passage d'un enseignement académique à des situations concrètes", fait valoir Franck Fregosi.

Un choix jugé d'autant plus essentiel que, selon Bénédicte Lavaud Legendre, les étudiants, notamment ceux issus de la fonction publique, "font face à des crispations de plus en plus nombreuses autour de la question de la place de la religion dans l'espace public". Ils ont donc besoin d'outils. Et d'ajouter :"Il ne suffit pas d'enseigner le droit des religions, encore faut-il donner aux étudiants des éléments de réflexion sur la manière dont on l'applique."

Pas d'ingérence du ministère de l'intérieur

Depuis les attentats de janvier 2015, le ministère de l'Intérieur parle de rendre obligatoire l'obtention d'un diplôme universitaire de "formation civile et civique" pour les aumôniers salariés qui interviennent au sein des prisons, hôpitaux et armées.

Des formations que le bureau du culte du ministère de l'intérieur subventionne, "ce qui permet de couvrir globalement les frais" souligne Bernard Legras, sans qu'il ne soit question d'ingérence dans le contenu des formations ou dans l'organisation de celles-ci. "Chacun est à sa place, le ministère de l'Intérieur fixe le cadre, à l'intérieur duquel les universités font ce qu'elles veulent", assure Céline Pauthier. Deux fois par an, le ministère réunit les responsables de ces DU, histoire d'échanger sur leurs difficultés et de partager quelques bonnes pratiques.

Source :   letudiant.fr / Par : Isabelle Dautresme / le 09.12.2015

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